Abus dans le monde du Yoga

Aussi perçante soit la vue, on ne se voit jamais de dos.

proverbe chinois

Le monde du Yoga n’est pas exempt d’abus, malheureusement. Actuellement, grâce à l’élan du mouvement #MeToo, les vagues déferlent dans les écoles les plus prestigieuses, et la parole se libère, notamment outre-atlantique. Même si ce n’est pas nouveau, comme vous pouvez le constater avec cet article de 2015, ce n’est que récemment que les plaintes semblent être mieux entendues, bien qu’on soit encore loin de la transparence idéale.

J’écris cet article car, d’une part, je ressens le besoin de mettre par écrit mon indignation face à tout abus de pouvoir, quelque soit le milieu, mais d’autant plus dans le milieu du Yoga, où le principe fondamental est ahimsa ou la non-violence.

D’autre part pour donner quelques indications à toute personne qui se rend à un cours de yoga et spécialement à mes élèves.
En effet, en ce moment et à ce sujet je lis et j’écoute des podcasts de différents intervenants (surtout en anglais) autour de la pédagogie inhérente au yoga, je me rends compte qu’il est important de clairement statuer certains principes.

Il s’agit ici de deux types d’abus, abus sexuels et abus de pouvoir pendant les cours, par une manipulation psychologique et/ou de mauvais ajustements causant notamment des blessures ou des séquelles physiques. Parfois les deux sont mêlés.

Surtout dans le monde anglo-saxon, le débat sur l’abus de pouvoir dans le monde du Yoga est plus que jamais d’actualité. Récemment K. Patthabi Jois, fondateur de la célèbre méthode Asthanga Yoga, a été reconnu publiquement coupable d’abus sexuels ainsi que d’avoir causé des blessures par des ajustements pour lesquels les élèves n’étaient pas préparés, après des années que certaines élèves avaient osé parler.
Il aura fallu attendre des années (même après sa mort) pour que sa culpabilité soit admise par grand nombre de ses disciples et même par son petit-fils, Sharath Jois, qui assure la suite, et qui a enlevé toute référence à son grand-père dans son site et a reconnu dans un post Instagram les mauvais ajustements que pouvait faire son grand-père. Sa culpabilité fait encore débat dans la communauté d’ashtangis.
De même pour B.K.S. Iyengar, connu par ses ajustement brusques (il pouvait taper, crier, etc) on reconnaît enfin que ce n’était pas vraiment aller avec les principes de bienveillance et de tolérance. Cette excellente école, qui est très verrouillée dans ces certifications, connaît également des agresseurs sexuels. Bien d’autres noms sont à ajouter à la liste, mais mon intention n’est pas de dresser une liste exhaustive, mais de signaler simplement que, comme partout, l’abus existe aussi en Yoga, malheureusement même à des hauts niveaux. Sans parler des professeurs inconnus qui peuvent sévir sans forcément être inquiétés.

Une question se pose, comment ça se fait que les élèves n’aient rien dit? Que des témoins n’aient pas agi? La remise totale du pouvoir à une personne sur son corps n’est jamais saine, mais elle est possible lorsqu’on est face à des manipulateurs/prédateurs expérimentés. Faut-il rappeler que ce n’est jamais la faute des victimes? En revanche il est important de parler s’il est dans votre capacité, pour éviter de perpétuer des tels comportements.

Qu’en est-il des ajustements?

ajustement en parsvakonasana

Pour en venir aux ajustements posturaux, je commence par mon expérience personnelle. J’ai participé à énormément de cours différents, avec des professeur.es différent.es.
Certain.es enseignant.es ne touchent jamais les élèves, d’autres beaucoup, d’autres peu. Je pense avoir reçu des ajustements qui n’étaient pas forcément nécessaires, jamais d’ajustement déplacé, heureusement.
J’ai reçu en revanche des ajustements qui m’ont permis de comprendre différemment une posture, et d’un coup avoir une évolution dans la perception de mon corps et de ses capacités.
Dans mon expérience, les ajustements peuvent donc être très utiles lorsque l’intention ou la compréhension intellectuelle ne semblent pas se manifester physiquement. Ils peuvent être comme des petites révélations sur notre propre corps.

J’essaye donc dans mes cours d’apporter ces ajustements bienveillants qui peuvent aider un.e élève à trouver une meilleure compréhension. Mais il n’est pas question ni de brusquer, ni de forcer, comme peut être le cas de certains ajustements.

Nous n’avons pas tous la même anatomie, donc pourquoi on devrait tous avoir la même forme dans une posture?

Mais il se trouve que dans le monde du Yoga parfois des professeur.es se sentent autorisé.es à faire ce qu’ils veulent avec le corps de l’élève. Des témoignages sur des ajustements brusques ou fatals ne manquent pas. Ou des ajustements avec attouchement sexuels. Ce n’est pas parce que vous êtes dans un cours que vous devez abandonner votre corps à l’enseignant.e, même si évidemment il vaut mieux lui faire confiance si vous suivez ses cours régulièrement.
Les profs de yoga ne sont pas forcément médecins, kinés ou ostéopathes, les écoles de Yoga ne préparent pas forcément à approcher tous les corps et les manipuler, et il dépend souvent de l’élève professeur.e de se former davantage en anatomie. Et ce sont des êtres humains avec tout ce que cela comporte. Alors aucune raison d’avoir peur de refuser un ajustement. Malheureusement, avec l’abus de pouvoir il y a souvent une manipulation psychologique qui s’est instauré et on peut être « sous emprise ».
On peut ajouter aussi qu’il peut y avoir des victime d’abus et un certain type d’ajustement peut faire remonter des mauvais souvenirs. C’est d’autant plus difficile de dire non.

C’est évidemment des exceptions, et il y a plein de profs qualifié.es, bienveillant.es et capables de se remettre en question.

Il est impossible pour un être humain de savoir ce qu’un autre être humain ressent véritablement.

Se pose donc la question, pour moi, de l’intention. Pourquoi je fais du yoga? Est-ce pour faire un virabhadrasana II (guerrier II) absolument parfait, quitte à devoir remplacer mes hanches dans 20 ans? Ou est-ce pour apprendre un peu plus sur moi même? Certes, lorsqu’on donne une forme à notre corps, qu’on le contraint, on apprend à le connaître, mais l’idée c’est de le connaître aussi pour savoir jusqu’où aller, et savoir aussi dire non merci, je ne veux pas de votre ajustement, madame l’enseignante ou monsieur le professeur.

Alors, pour mes élèves et tous les élèves, ayez à l’esprit quelle est votre intention lorsque vous faites du yoga. Parlez-en avec votre professeur.e si vous avez un doute. Pour ma part, je ne suis que trop heureuse quand vous me faites part de vous doutes ou remarques, alors n’hésitez surtout pas. Je considère mes cours comme un espace de partage.
Je partage ce que j’ai appris et mon expérience, mais de façon horizontale, car j’apprends énormément des élèves aussi. Il n’empêche qu’on peut parfois blesser quelqu’un sans faire exprès, par un mot, par un geste, par exemple.

Je veux qu’il soit clairement établi que je ne suis pas là pour aller contre votre gré, et que vous avez toute la liberté de me dire non. Ou de venir me voir, m’écrire un mail, me téléphoner s’il y a quelque chose dans mon comportement ou mes paroles qui vous ont dérangé.

Le Yoga est union, inclusion. Il y a une richesse dans sa multiplicité, tant de pratiques que de façons d’enseigner. Et dans inclusion il y a vous aussi. Il ne peut pas y avoir de « je », ou du moins de « je sais mieux que toi ».

Si cet article vous touche, vous interpelle, je vous invite à commenter, voir à le partager dans son intégralité et en y mettant le lien. Je n’autorise pas la citation partielle sans demande préalable.



Ci-dessous quelques ressources:

En français:

http://www.yoganova.fr/des-loups-deguises-en-saint-les-abus-sexuels-dans-le-yoga-et-pourquoi-personne-nen-parle/

https://www.cielterrefc.fr/les-abus-sexuels-dans-le-yoga-denoncez-les/

vidéo regroupant certains ajustements de Pattabhi Jois abusifs :

https://vimeo.com/357016753

En anglais:

https://www.nytimes.com/2019/11/08/style/yoga-touch-consent-harassment.html

https://www.instagram.com/p/BzuKYVRlUv9/?utm_source=ig_web_copy_link

https://www.nytimes.com/2019/11/11/reader-center/yoga-touch-reporting.html?action=click&module=RelatedLinks&pgtype=Article

http://matthewremski.com/wordpress/tag/bks-iyengar/

https://www.kinoyoga.com/the-house-of-yoga-is-on-fire/
https://www.instagram.com/p/Bb2Rzu9FFaV/?hl=en&taken-by=yoga_girl

https://decolonizingyoga.com/why-didnt-somebody-warn-me-a-pattabhi-jois-metoo-story-jubilee-cooke/
https://thewalrus.ca/yogas-culture-of-sexual-abuse-nine-women-tell-their-stories/
https://www.thequint.com/news/india/me-too-bengaluru-the-practice-room-yoga-teacher-wandering-hands-women-protest?fbclid=IwAR02gD-bsOjv_rl48sGtrHnfe0QXt6jZM1VPMr_YDbOC2mf9lrPgO_Tpa9w

Podcasts:

https://www.jbrownyoga.com/yoga-talks-podcast/2018/7/beryl-bender-birch
https://www.jbrownyoga.com/yoga-talks-podcast/2018/11/karen-rain?rq=ashtanga
https://www.jbrownyoga.com/yoga-talks-podcast/2019/11/donna-farhi
https://www.jbrownyoga.com/yoga-talks-podcast/2016/9/eddie-stern?rq=ashtanga
https://www.jbrownyoga.com/yoga-talks-podcast/2019/9/timothy-lynch?rq=ashtanga

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4 Comments

  1. Isa Naia

    Merci infiniment de cet article, Emiliana, et de la documentation que tu as jointe.

    Tu es la seule personne du monde du yoga de ma connaissance à parler de ce mouvement de libération de la parole Outre-Atlantique ou en Europe, et tu m’as fait découvrir que l’abus courait aussi chez les enseignants voire les maîtres en Yoga : un pan de ma naïveté est tombé et ouvre mes yeux sur la réalité telle qu’elle est et non telle que j’imagine qu’elle devrait être.

    Et merci aussi de nous mettre en mots ce que nous avions déjà perçu de ton approche de l’enseignement du Yoga : l’ouverture de ton cœur, ton esprit de partage, ta bienveillance inconditionnelle et tes connaissances intellectuelles au service d’un Yoga sobre et puissant.

    Nous avons beaucoup de chance de t’avoir comme enseignante !

    A lundi 🙂

    • emiliana

      Merci à toi Isa, et encore, il faudrait que je le mette à jour! La parole se libère cependant même en France petit à petit. Ravie en tous cas que tu m’aies lue jusqu’au bout! 😉

  2. Cécile

    Un grand merci pour cette page, ton honnêteté et éthique à rendre ce sujet visible et public.

    Le voir écrit donne de la force et clarifie ; le sujet de l’emprise résonne.. ; pour celles et ceux qui sont concernés, il me semble qu’une telle fragilité peut laisser plus facilement entrouverte une porte aux personnes « malintentionnées » et non bienveillantes, quel que soit le cadre, professionnel, thérapie, yoga, sport…
    et sans forcément qu’on aille jusqu’au abus sexuels, cela peut commencer effectivement tout « petitement », par du jugement dans l’exécution des postures, qui ne va pas nous permettre de nous ouvrir en confiance à notre corps, et à sentir où sont ses limites, de vivre pleinement notre respiration, et tout simplement pas respecter l’esprit de la pratique du yoga (telle que je l’ai comprise en tout cas :-).)
    Je comprends que l’enjeu est de ne pas se crisper et de continuer à avoir confiance dans son prof, et/mais pour autant, de pouvoir rester à l’écoute de son corps, des limites qui sont les nôtres.. Y COMPRIS par rapport à son enseignant de yoga dans ce qu’il va dire ou faire sur nous même.

    • emiliana

      Merci Cécile pour ton témoignage, c’est tout à fait comme ça que je l’entends aussi.

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